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1.2.3 Andy Warhol

Andy Warhol est un artiste qui aurait probablement pu être classé dans les membres de Fluxus s’il n’avait pas lui-même créé son propre mouvement, le Pop Art. Cet homme multitalents, qui travaillait dans la publicité avant de se lancer dans une carrière d’artiste, considérait que la principale préoccupation de l’homme postmoderne, et  a fortiori la sienne, était de s’exposer,

plus précisément de « s’expeauser » en tant qu’image dans toute l’extimité de son intimité. Toutes ses sérigraphies de portraits témoignent, par leur répétition mécanique, de la nature irrépressible de ce désir d’être l’image la plus regardée possible ; la plus brillante et désirable donc dans l’impersonnalité de sa banalité même. […] Être une star ou ne pas être, telle est The Question qui taraude l’homme de l’ère télévisuelle. En montrant que l’image télé est devenue le principal mode d’apparaître de l’être, les sérigraphies de Warhol nous donnent à comprendre que c’est dans « le quart d’heure de gloire » de son passage à la télévision que l’homme s’efforcera désormais de trouver sa raison d’être[1].

On retrouve dans ce propos l’art d’attitude de Duchamp et de Fluxus. L’artiste devient résolument extime en se prêtant au jeu de la célébrité. Car là où Warhol est pertinent dans l’étude de l’évolution de l’extime, c’est qu’il a fait de la célébrité l’un des thèmes essentiels de sa création. Sortir des schémas picturaux traditionnels et représenter des célébrités, c’était faire d’une pierre deux coups car c’était reconnaître à certaines personnes le statut de « star » et les ancrer dans l’inconscient collectif en en faisant des icônes populaires. Les sérigraphies de Warhol, ne s’arrêtant pas aux portraits de célébrités mais s’emparant également de nombreuses images populaires, étaient comme les pages d’un journal extime moderne.

Une autre caractéristique de l’extimité de Warhol se trouve dans son studio, la célèbre Factory. C’est dans ce lieu qu’il tourna la quasi-intégralité de sa production filmique, ce qui est assez logique quand on sait que ce lieu fut le point de repère des artistes à la mode de l’époque, que ce soit des écrivains (Truman Capote…) ou des musiciens (Lou Reed & le Velvet Underground – dont il réalisa la pochette du premier album -, Bob Dylan, Mick Jagger…). Un groupe de personnalités new-yorkaises qui accompagnaient Warhol dans sa vie sociale et dont il assura la promotion à la fin des années soixante fut même appelé les « Warhol Superstars ». On retrouve certaines de ces personnalités dans les œuvres de Warhol, l’artiste se contentant de les filmer et de les déclarer « superstars », leur offrant ainsi leur « quart d’heure de gloire ». Nous pourrions citer Sleep, vidéo dans laquelle on observe le poète John Giorno dormir pendant cinq heures et 21 minutes. Nul doute que la Factory était un endroit stimulant pour ceux qui la fréquentaient, exception faite de Valerie Solanas, poète féministe, qui tenta d’assassiner l’artiste, son compagnon (Warhol n’a jamais caché son homosexualité) et son impresario, parce que Warhol n’avait pas prêté assez attention à un manuscrit qu’elle lui avait confié.

Mais c’est également dans la Factory que travaillaient les assistants sérigraphes de Warhol, car depuis ses années dans la publicité, il confiait à ses assistants la réalisation des œuvres dont il avait eu l’idée. On retrouve ici certains traits caractéristiques du dandy, que nous avons vu précédemment, et nous pourrions souligner que l’image même de Warhol était extrêmement travaillée – oserions-nous dire apprêtée –, l’artiste n’ayant changé ni de coupe ni de couleur de cheveux tout au long de sa carrière.

La popularité de Warhol est à replacer dans un contexte de développement historique des médias, spécialement aux États-Unis. La télévision s’était démocratisée et nombreux furent les petits Américains à voir d’un œil émerveillé Neil Armstrong poser le pied sur la Lune en 1969. «  Les médias sont des formulations de l’art du peuple, dans lesquelles la notion d’expression se voit remplacée par celle, plus neutre et plus fonctionnelle, de communication. »[2]. L’artiste devient un communicant : il contrôle son image, son extimité pour ne pas perdre en crédibilité. Notons que malgré cette apparente extimité, l’intimité de Warhol était peu connue : une fois sorti de la Factory, Warhol redevenait Andy.

Warhol se prêta, assez tardivement, à l’exercice du journal extime. Son Journal fut publié en 1989, après sa mort en 1987. Ce qui est particulièrement intéressant ici, c’est que ce Journal n’a pas été écrit de la main de Warhol. Il faut savoir que la raison majeure qui l’a poussé à commencer son Journal était sa volonté d’avoir une trace de ses dépenses quotidiennes après avoir été audité[3], comme ce « livre de raison » évoqué en première partie. C’est donc à partir de l’automne 1976, du lundi au vendredi, Warhol appelait tous les matins sa secrétaire, Pat Hackett, et lui racontait les événements de la veille qu’elle retranscrivait ensuite à la machine à écrire.

Andy Warhol, Autoportrait, 1987, six mois avant sa mort

Sur la fin de sa vie, Warhol ne produisait plus beaucoup mais défendait toujours avec la même ferveur certains artistes, comme Jean-Michel Basquiat ou Keith Haring. Mais il est intéressant de noter que neuf mois avant sa mort, Warhol décida de créer une autre série de Self portraits[4], la dernière, où, dans chaque œuvre, son visage lévitait devant une auréole de cheveux en épis. Image iconique où l’artiste se fige, avant de mourir, comme pour marquer les dernières minutes de son « quart d’heure de gloire ».    


[1] LAFARGUE Bernard, « L’extimisation au temps des webcams », dans WATTEAU Diane (dir.), Vivre l’intime (dans l’art contemporain), Paris, Thalia Edition, 2010, p. 90.

[2] SENNETT Richard, Les tyrannies de l’intimité, Paris, Éd. Seuil, p. 41.

[3] COLACELLO Bob, Holy Terror : Andy Warhol Close Up, New York, HarperCollins, 1990, p.183.

[4] Warhol commença à se photographier dès les années 1960.