C’est avec les débuts de la téléréalité que l’extime a commencé à perdre de son sens. Là où connaître l’intimité de certains auteurs, artistes, personnages publics peut parfois s’avérer utile, découvrir l’intime de personnes lambda, qui n’ont aucune conscience de leur extimité, ne fait plus beaucoup sens, si l’on excepte le côté sociologique de l’expérience.
Passer à la télé, voilà donc la véritable épreuve initiatique. […] Si toute Live Story est désormais une Télé-Loft Story, dont l’importance se mesure au nombre de ses téléspectateurs, alors un être humain ne peut se sentir reconnu en tant qu’être humain qu’en donnant à voir la banalité de sa vie quotidienne transfigurée en une suite infinie d’images télévisuelles.[1]
Lorsque l’on évoque aujourd’hui la téléréalité, on pense immédiatement à Loft Story. Mais bien avant ça, ce furent les reality shows qui permirent à des personnes lambda de gagner en célébrité. La différence entre reality show et reality TV (téléréalité) ?
Le reality show : format d’émission dans laquelle des individus ordinaires vivent réellement des situations extraordinaires. Le succès de ce concept démarre aux États-Unis en 1989 avec COPS. En France, on verra ce type d’émission tout au long des années 1990 : Perdu de vue, Témoin n°1, La Nuit des héros, Les Marches de la gloire, etc. La téléréalité (traduction de reality television) : format d’émission dans laquelle des individus ordinaires vivent artificiellement des situations plus ou moins ordinaires. Le succès de ce concept démarre en Europe en 1999 avec Big Brother. En France, ce sont les émissions des années 2000 : Loft Story, Koh-Lanta, Star Academy, L’Île de la tentation, etc.[2]
En France, la téléréalité est arrivée dans le paysage audiovisuel français en 2001, avec Loft Story. Le lancement était historique, le programme était attendu par le public, qui ne fut pas déçu en découvrant le soir même du début de « l’aventure du Loft » une Loana particulièrement désinhibée, la propulsant bien malgré elle sous les feux de la rampe. Plus de dix ans après, elle fait encore les couvertures des magazines, mais parce qu’elle a tenté de se suicider et qu’elle lutte contre la dépression. Mais l’aventure de la téléréalité remonte bien avant cela : aux États-Unis, c’est en 1971 que débute An American Family où, pour la première fois, on rentre dans la vie d’une famille lambda, les Loud, pour assister au gré des douze épisodes de la première et unique saison, au divorce des parents. Le programme ne connut qu’un succès d’estime, restant considéré comme la première télé réalité, et fut repris dans différents pays (en Angleterre en 1972 et en Australie en 1992). C’est encore aux États-Unis qu’est diffusé The Real World en 1992, toujours diffusé après vingt-neuf saisons. Et en Europe, c’est aux Pays-Bas en 1999 que commence (le bien nommé) Big Brother. Le problème que pose la téléréalité est que les « quinze minutes de gloire » dont parlait Warhol sont devenues une fin en soi. Et c’est logique : l’attention est portée sur ces nouvelles célébrités, qui se font et se défont sous nos yeux. Ces derniers mois, c’est Nabila qui a fait la une de tous les magazines people. Même mieux, elle a sa propre émission, sur sa vie et sa nouvelle célébrité. Pas étonnant quand on sait que l’un de ses modèles est Kim Kardashian, dont le seul « fait d’arme » est une sextape, produite par sa propre mère, qui en a « commandé » deux autres versions puisque la première n’était pas assez bonne. Exposer sa sexualité comme moyen de créer le « buzz », extimiser le plus intime des actes intimes, drôle de manière pour obtenir la reconnaissance de ses pairs.
Télé-réalité, blogs, et sites perso regorgent d’aveux, de récits et d’images intimes. Ces documents chocs, montrés en lumière crue et sans fard ne sont pas intéressants pour autant. Pour faire œuvre encore faut-il qu’un auteur mette en mots, en images ou en scène et construise une réalité ou un leurre saisissants. Plutôt que de démêler le vrai du faux, le spectateur ne doit-il pas se laisser prendre au piège du simulacre pour être à rebours et par réverbération renvoyé à son for intérieur ?[3]
Il ne suffit pas d’être une star pour être un artiste. On voudrait nous faire croire que la célébrité s’acquière en quelques mois. Mais le schéma est classique et ne cessera de se répéter : ascension, exposition, médiatisation, vacuité de la démarche, surexposition et chute. Rares furent ceux qui s’en relevèrent et réussirent à transformer cette célébrité en quelque chose de tangible. Et d’utile.
[1] LAFARGUE Bernard, dans WATTEAU Diane (dir.), op. cit., p. 91.
[2] Définitions issues de Wikipédia [en ligne]. Disponible sur <http://fr.wikipedia.org/wiki/Téléréalité> (consulté le 28 mai 2014)
[3] TATOT Claude-Hubert, « L’intime mis en œuvre », dans WATTEAU Diane (dir.), op. cit., p. 76.