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Introduction

Lors de mes précédentes recherches, j’ai été amené à étudier l’art comme facteur de résilience, cette capacité propre à chaque être humain de « rebondir » après un événement traumatique. Les raisons qui poussaient un artiste à s’exprimer, à sortir de sa coquille pour vaincre ses traumatismes, m’ont toujours fasciné. L’intimité des artistes, les journaux intimes, les correspondances, les biographies, autobiographies étaient autant d’éléments révélateurs de résilience, et d’intimité. C’est donc assez naturellement que j’en suis arrivé à étudier « l’extime », qui apparaît pour la première fois en 1923 sous la plume du critique littéraire français Albert Thibaudet et que nous pourrions résumer à « l’extériorisation de l’intime ». Le terme « extimité » apparaît, lui, pour la première fois sous la plume du psychanaliste français Jacques Lacan en 1969[1], mais c’est Serge Tisseron, qui en offrira une définition percutante en 2001, pour qualifier « une modernité soucieuse d’exhiber l’intimité », en réponse au phénomène Loft Story qui venait d’apparaître en France.

L’extimité reste un concept mal connu et, de fait, souvent mal perçu. On assimile souvent le besoin de se montrer, de se dévoiler, à un certain narcissisme. Pourtant, comme le souligne Philippe Lejeune, « Le narcissisme est nécessaire à la vie, comme le cholestérol ! Seul l’abus est dangereux [2]». Les peintures des grottes de Lascaux furent, selon moi, le premier exemple d’extime : en représentant sur les murs des grottes les animaux qui constituaient leur vie quotidienne, les hommes des Cavernes ont été les premiers à nous donner à voir leur vie. C’est plus tard, dans l’Antiquité, que l’on retrouvera chez les Grecs cette volonté de consigner les éléments de la vie courante, à travers les hypomnémata.

Il est vrai que chaque artiste évoqué dans ces recherches aurait pu faire l’objet intégral de ce mémoire. Mais ce qui m’intéressait par dessus tout, c’était de comprendre l’évolution de ce concept et surtout de sa signification, quatre-vingts années après son apparition, à l’ère des réseaux sociaux, des webcams et de Facebook. Publier un message sur internet, que ce soit sur un blog, un site personnel ou un réseau social, c’est s’extimiser, c’est donner à voir son intime. L’extime est donc un concept pratiqué par tous ces internautes, sans qu’ils en aient forcément conscience. Parmi ces internautes, des artistes, des écrivains, des musiciens qui, eux aussi, s’extimisent « en jouant le jeu ».

En partant de ces exemples et pour bien cerner l’évolution du concept, il m’a semblé important, dans un premier lieu, de retracer un historique de l’extime, du récit de soi aux Confessions de Rousseau, puis, dans un second lieu, d’expliquer les raisons et la finalité artistique de l’extimité pour pouvoir en dégager, en troisième lieu, les enjeux et potentiels dévoiements et tenter, en ce début de XXIème siècle, de donner une définition contemporaine de la notion d’extimité. 


[1] LACAN Jacques, Séminaire XVI : D’un autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p. 249.

[2] COLLECTIF, La Sphère de l’intime, Saint Herblain, Coéditions Le Printemps de Cahors, 1998, p. 17.