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3.2.2 L’extimité contrôlée

L’un des plus célèbres artistes urbains est l’Anglais Banksy. Sa particularité ? Personne n’a jamais vu son visage[1]. L’artiste contrôle sa visibilité, son extimité : d’abord pour des raisons légales (les graffitis restent assimilés à des actes de vandalisme) mais aussi parce que, dans le street art, l’artiste s’efface derrière sa signature. Son visage importe peu, c’est son style qui le personnifie. Lorsqu’il se montre, le street artiste a souvent le visage masqué.

Le succès du film Exit Through the Gift Shop (Faites le mur !) est dû au fait que Banksy en est le réalisateur. Mais ce documentaire, même s’il explique en partie la démarche de l’artiste, tourne principalement autour de la figure de Thierry Guetta, artiste amateur, cousin du célèbre Space Invader, qui filme de façon obsessionnelle, à l’instar de Jonas Mekas, tous les moments de sa vie.

À mesure qu’il filme de manière compulsive la nouvelle génération de l’art urbain, son obsession pour Banksy, le célèbre pochoiriste britannique se fait plus dévorante. Ils se rencontrent enfin. Banksy incite Guetta, au vu de la médiocrité de ses productions audiovisuelles, à se tourner vers l’art urbain. C’est alors que naît Mr. Brainwash.[2]

Ce qui est intéressant ici, c’est qu’à la fin du documentaire, Banksy se désolidarise considérablement du « monstre » qu’il venait de créer. Il aurait très bien pu ne pas laisser faire le film, mais la réputation d’un street artiste étant une arme importante, il préféra s’expliquer, non sans un certain humour, sur les raisons qui l’ont amené à « lâcher la bête » qui, soulignons-le, connaît tout de même un relatif succès. 

Parlons maintenant de Kidult, ce taggeur / sculpteur, célèbre pour avoir « vandalisé » les vitrines des magasins de luxe aux quatre coins du globe, et pour être une figure particulièrement intéressante de l’activisme artistique, l’artivisme :

The artivist (artist +activist) uses her artistic talents to fight and struggle against injustice and oppression—by any medium necessary. The artivist merges commitment to freedom and justice with the pen, the lens, the brush, the voice, the body, and the imagination. The artivist knows that to make an observation is to have an obligation.[3]

Cette obligation, Kidult l’explique dans son manifeste[4] :

Graffiti is not simply an artistic expression, graffiti is a protest, a scream of anger which has always claimed the right to the city through (re)appropriation of the commons and the public spaces, including streets, walls, and vehicles of transportation. Streets are in the hands of all and through graffiti, I aim to claim both the gratuity and access to my production. The streets are the main support of my protest and the biggest free art gallery. […]
At the core of this struggle lies the brutal opposition of two different visions of graffiti, the commercial graffiti and the free graffiti that I defend.
The cities are the theater of a battle for space, a battle in which I try to expose my vision of the world, and destroy theirs. My extinguishers, paint and spray cans are my weapons of mass destruction. They may have all the money in the world; they will never win in the streets because we are the streets!
[…] I am not the one who declared the war, I just responded to defend my vision of what graffiti and society should be, free. […][5]

Un des « Exstincteurs » de Kidult

L’activité de sculpteur de Kidult réside dans la série des « Ekstincteurs », une réappropriation des extincteurs dont se servent parfois les artistes urbains pour peindre leurs œuvres sur des grandes surfaces. Ces extincteurs, en nombre limité, Kidult les offre au monde : il publie leurs coordonnées sur son site et lance une chasse au trésor mondiale. C’est, par exemple, à l’occasion de l’ouverture de la FIAC 2013 que les fans français ont pu participer.  Mais ce qui est intéressant dans l’œuvre de Kidult, c’est sa réaction après avoir appris que l’un de ses extincteurs s’était retrouvé sur eBay. Cette vente étant totalement en désaccord avec le manifeste de l’artiste, celui-ci a décidé de créer une structure pour sa propre promotion : NoGalleryNoMaster.

[…] Just like graffiti, my work is public, and not private. NoGalleryNoMaster was created so that we can choose and select how my work is sold and distributed, in accordance with very specific criteria.
Kidult is not represented by any  gallery or institution.
We will refuse any sale or collaboration involving galleries, institutions or any other for-profit artistic entities, which enables me to keep unrestrained artistic vision, independence and freedom.[6]

Kidult est un artiste dont l’extimité rigoureuse établit un rapport clair : l’art urbain est un art engagé socialement, que tout le monde ne peut pas jouer s’il n’en connaît pas les codes.  


[1] Enfin, en théorie, puisqu’avec internet, tout est possible.

[2] Synopsis du film issu de Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Faites_le_mur_!

[3] ASANTE M.K. Jr, It’s Bigger Than Hip Hop, The Rise of the Post-Hip-Hop Generation. 2009. Traduction personnelle : « L’artiviste utilise ses talents artistiques pour se battre et combattre les injustices et l’oppression, par tous les média nécessaire. L’artiviste fusionne l’engagement avec le stylo, l’objectif, le pinceau, la voix, le corps et l’imagination. L’artiviste sait que faire une observation, c’est avoir une obligation. »

[4] Manifeste de Kidult [en ligne]. Disponible sur <http://kidultone.com/?page_id=381> (consulté le 28 juin 2014)

[5] Voir Annexe 4 pour lire l’intégralité du manifeste de Kidult. Traduction personnelle : « Le graffiti n’est pas seulement une expression artistique, le graffiti est une protestation, un cri de colère qui a toujours revendiqué le droit à la ville par la (ré)appropriation des lieux publics et communs, ce qui inclut les rues, les murs et les véhicules de transport. Les rues sont aux mains de tous et, par le graffiti, j’entends revendiquer la gratuité et de ma production et de son accès. Les rues sont le principal support de ma protestation et le plus grand musée d’art libre. […]

Au cœur de ce combat réside l’opposition brutale de deux visions différentes du graffiti, le graffiti commercial et le graffiti gratuit que je défends.

Les villes sont le théâtre d’une bataille pour l’espace, une bataille dans laquelle j’essaie d’exposer ma vision du monde et détruire la leur. Mes extincteurs, ma peinture et mes bombes de peinture sont mes armes de destruction massive. Ils peuvent avoir tout l’argent du monde, ils ne gagneront jamais dans les rues parce que nous sommes les rues.

[…] Je ne suis pas celui qui a déclaré la guerre, j’ai juste répondu pour défendre ma vision de ce que le graffiti et la société devraient être : gratuits. […] »

[6] KIDULT, NoGalleryNoMaster, [en ligne]. Disponible sur <http://nogallerynomaster.com> (consulté le 21 mai 2014). Traduction personnelle : […] « Tout comme le graffiti, mon travail est public, et pas privé. NoGalleryNoMaster a été créé pour que nous puissions choisir et sélectionner comment mon travail sera vendu et distribué, en respectant des critères très spécifiques.

Kidult n’est représenté par aucune galerie ni aucune institution.

Nous refuserons toute vente ou collaboration impliquant des galeries, des institutions ou n’importe quelle autre entité artistique tournée vers le profit, ce qui me permet de garder une vision, une indépendance et une liberté artistique libre de toute contrainte.».