Lorsque nous avons évoqué Andy Warhol et Jonas Mekas, nous avons vu que le milieu de l’art contemporain et le milieu de la musique alimentaient leur propre créativité.
Yoko Ono, membre de Fluxus, vécut avec John Lennon une histoire d’amour mythique. Les deux artistes se sont trouvés, se sont aimés et ne se sont plus quittés, jusqu’à l’assassinat de John Lennon par Mark David Chapman. L’histoire de leur première rencontre, de leur première nuit ensemble, est « audible » sur l’album Unfinished Music Nr 1 : Two Virgins, dont la pochette représente les deux artistes debout, totalement nus, ce qui fit scandale à l’époque. Les deux vierges dont il est question ici, ce sont évidemment les deux artistes. Mais leur virginité n’est pas sexuelle, elle est créative. Leur vie prenait une nouvelle dimension grâce à leur couple et à son potentiel créatif. C’est à cette époque que Lennon a commencé à devenir particulièrement actif dans le militantisme pacifiste. Pour la première fois, l’extimité d’un chanteur ne se cantonnait plus à ses paroles de chanson : le chanteur devenait « sculpteur social ».
On pourrait citer de nombreux autres rapprochements entre artistes et musiciens, mais, avec le développement des réseaux sociaux, il est une figure qu’il me semble important d’évoquer, même si cela risque de faire sourire : Lady Gaga.
Lady Gaga est une artiste, avant d’être une chanteuse. Avec les années et un succès toujours grandissant, elle est devenue la fille spirituelle d’Andy Warhol et de Marina Abramović. C’est en 2009, aux MTV Video Music Awards, qu’elle a marqué les esprits. Elle a revêtu six tenues différentes sur la soirée (de Jean Paul Gaultier et d’Alexander McQueen) et sa performance du morceau Paparazzi, dans lequel elle dénonce la traque incessante des paparazzi, a permis de découvrir une autre facette de cette chanteuse. C’est à la (re)naissance de Lady Gaga que les spectateurs de MTV ont assisté ce soir-là. Pour bien illustrer son propos, au milieu du morceau, du sang commence à couler de sa poitrine, laissant l’auditoire plus que perplexe. Et c’est le visage en sang qu’elle termine, pendue au dessus de la scène, dans un brouhaha frénétique de déclenchements d’appareils photo.
Depuis, chaque apparition de Lady Gaga est à voir comme une performance à part entière. Chaque passage télévisuel est différent d’un autre et offre une interprétation, différente à chaque fois, d’un morceau qu’elle chante pourtant tous les soirs de concert.
Il est à signaler que le costume qu’elle portait le soir des Video Music Awards est une création de la Haus of Gaga, un collectif d’artistes et de créateurs, inspiré de la Factory de Warhol. « They don’t do anything but live and breathe their art [1]», résume-t-elle sur le blog de Perez Hilton. Pour cette raison, aucune des créations de Haus of Gaga n’a encore été commercialisée à ce jour. Comme l’explique Lady Gaga, il s’agit avant tout d’un collectif d’artistes, « ce n’est pas une marchandise ! Ce n’est pas fait pour être vendu ! »[2].
L’intégration des concepts artistiques du pop art ainsi qu’une sensibilité et une ouverture manifeste à l’art a fait d’elle une artiste résolument post-moderne, s’appropriant des codes déjà existants pour créer son propre univers, un monde où l’art et la vie ne font plus qu’un.
Ce qui est particulièrement intéressant chez Lady Gaga, ce sont les nombreux liens qu’elle entretient avec le milieu de l’art contemporain : Jeff Koons réalise la pochette de son dernier album, sur laquelle on aperçoit les sculptures de Lady Gaga créées par Koons. Robert Wilson, le réalisateur de la pièce de théâtre sur la vie de Marina Abramović, l’utilise comme modèle photographique dans la recréation d’œuvres picturales. Jean-Paul Gaultier lui crée des costumes de scène. Terry Richardson, le photographe célèbre pour ses photos crues à tendance porno chic, l’a suivie pendant deux mois en tournée pour produire un journal de tournée. Et Marina Abramović fait appel à elle, pour le financement participatif du MAI. Abramović reconnaît que la participation de Lady Gaga à la performance The Artist is Present a boosté sa popularité auprès des jeunes : « The public who normally don’t go to the museum, who don’t give a crap about performance art or don’t even know what it is, started coming because of Lady Gaga) [3]». C’est donc avec un plaisir évident que Lady Gaga a répondu présente à l’appel de cette artiste qu’elle admire et respecte et s’est prêtée au jeu des différentes performances longue durée d’Abramović.
Lady Gaga, comme beaucoup d’artistes qui utilisent les réseaux sociaux à des fins de rapprochement des fans, a créé une vraie communauté (même si elle délègue quelquefois la tâche à un « community manager », comme c’est désormais souvent le cas, à cause du caractère chronophage des réseaux sociaux, toujours en demande d’extimité), les Little Monsters. L’envoi régulier de newsletters mettant en avant les créations de ses fans permet de voir à quel point les codes artistiques ont été intégrés de manière naturelle, à quel point les valeurs que Lady Gaga prône et défend sont comprises, transmises et mises en pratique : l’acceptation de soi et de la différence de l’autre. Ils suivent les moindres faits et gestes de l’artiste et sont donc amenés à se poser des questions, à exprimer une voix parmi d’autres, quand leur artiste préférée passe devant le Congrès pour défendre les droits des homosexuels dans l’armée américaine.
[1] « Gaga does it for the gays » in perezhilton.com [en ligne]. 2009. Disponible sur <http://perezhilton.com/2009-08-13-gaga-does-it-for-the-gays> (consulté le 28 juillet 2004). Traduction personnelle : Ils ne font rien d’autre que vivre et respirer leur art.
[2] Sur le site de Haus of Gaga [en ligne]. Disponible sur <http://www.haus-of-gaga.com> (consulté le 28 mai 2014)
[3] « MARINA ABRAMOVIĆ: “I’VE ALWAYS BEEN A SOLDIER” », Interview [en ligne], Disponible sur le site de The Talks <http://the-talks.com/interviews/marina-abramovic/> (consulté le 20 juillet 2014). Traduction personnelle : « Le public qui n’allait pas au musée, qui s’en foutait de l’art de la performance ou ne savait même pas ce que c’était, a commencé à venir grâce à Lady Gaga ».