Archives de catégorie : 3.1 Les nouvelles formes d’extimité

3.1.3 La musique : un extime interconnecté & interconnectant

Lorsque nous avons évoqué Andy Warhol et Jonas Mekas, nous avons vu que le milieu de l’art contemporain et le milieu de la musique alimentaient leur propre créativité.

L’extimité de Yoko Ono & John Lennon. Ici, leur première « collaboration », un album dans lequel on entend leur première nuit ensemble. Et si ça n’était pas assez intime, la pochette les montre nus, recto / verso.

Yoko Ono, membre de Fluxus, vécut avec John Lennon une histoire d’amour mythique. Les deux artistes se sont trouvés, se sont aimés et ne se sont plus quittés, jusqu’à l’assassinat de John Lennon par Mark David Chapman. L’histoire de leur première rencontre, de leur première nuit ensemble, est « audible » sur l’album Unfinished Music Nr 1 : Two Virgins, dont la pochette représente les deux artistes debout, totalement nus, ce qui fit scandale à l’époque. Les deux vierges dont il est question ici, ce sont évidemment les deux artistes. Mais leur virginité n’est pas sexuelle, elle est créative. Leur vie prenait une nouvelle dimension grâce à leur couple et à son potentiel créatif. C’est à cette époque que Lennon a commencé à devenir particulièrement actif dans le militantisme pacifiste. Pour la première fois, l’extimité d’un chanteur ne se cantonnait plus à ses paroles de chanson : le chanteur devenait « sculpteur social ».

On pourrait citer de nombreux autres rapprochements entre artistes et musiciens, mais, avec le développement des réseaux sociaux, il est une figure qu’il me semble important d’évoquer, même si cela risque de faire sourire : Lady Gaga.

Lady Gaga est une artiste, avant d’être une chanteuse. Avec les années et un succès toujours grandissant, elle est devenue la fille spirituelle d’Andy Warhol et de Marina Abramović. C’est en 2009, aux MTV Video Music Awards, qu’elle a marqué les esprits. Elle a revêtu six tenues différentes sur la soirée (de Jean Paul Gaultier et d’Alexander McQueen) et sa performance du morceau Paparazzi, dans lequel elle dénonce la traque incessante des paparazzi, a permis de découvrir une autre facette de cette chanteuse. C’est à la (re)naissance de Lady Gaga que les spectateurs de MTV ont assisté ce soir-là. Pour bien illustrer son propos, au milieu du morceau, du sang commence à couler de sa poitrine, laissant l’auditoire plus que perplexe. Et c’est le visage en sang qu’elle termine, pendue au dessus de la scène, dans un brouhaha frénétique de déclenchements d’appareils photo.

Lady Gaga,
en pleine performance aux Video Music Awards de 2009

Depuis, chaque apparition de Lady Gaga est à voir comme une performance à part entière. Chaque passage télévisuel est différent d’un autre et offre une interprétation, différente à chaque fois, d’un morceau qu’elle chante pourtant tous les soirs de concert.

Il est à signaler que le costume qu’elle portait le soir des Video Music Awards est une création de la Haus of Gaga, un collectif d’artistes et de créateurs, inspiré de la Factory de Warhol. « They don’t do anything but live and breathe their art [1]», résume-t-elle sur le blog de Perez Hilton. Pour cette raison, aucune des créations de Haus of Gaga n’a encore été commercialisée à ce jour. Comme l’explique Lady Gaga, il s’agit avant tout d’un collectif d’artistes, « ce n’est pas une marchandise ! Ce n’est pas fait pour être vendu ! »[2].

L’intégration des concepts artistiques du pop art ainsi qu’une sensibilité et une ouverture manifeste à l’art a fait d’elle une artiste résolument post-moderne, s’appropriant des codes déjà existants pour créer son propre univers, un monde où l’art et la vie ne font plus qu’un.

Ce qui est particulièrement intéressant chez Lady Gaga, ce sont les nombreux liens qu’elle entretient avec le milieu de l’art contemporain : Jeff Koons réalise la pochette de son dernier album, sur laquelle on aperçoit les sculptures de Lady Gaga créées par Koons. Robert Wilson, le réalisateur de la pièce de théâtre sur la vie de Marina Abramović, l’utilise comme modèle photographique dans la recréation d’œuvres picturales. Jean-Paul Gaultier lui crée des costumes de scène. Terry Richardson, le photographe célèbre pour ses photos crues à tendance porno chic, l’a suivie pendant deux mois en tournée pour produire un journal de tournée. Et Marina Abramović fait appel à elle, pour le financement participatif du MAI. Abramović reconnaît que la participation de Lady Gaga à la performance The Artist is Present a boosté sa popularité auprès des jeunes : « The public who normally don’t go to the museum, who don’t give a crap about performance art or don’t even know what it is, started coming because of Lady Gaga) [3]». C’est donc avec un plaisir évident que Lady Gaga a répondu présente à l’appel de cette artiste qu’elle admire et respecte et s’est prêtée au jeu des différentes performances longue durée d’Abramović.

Marina Abramović & Lady Gaga.
Images tirées de la vidéo promotionnelle du Marina Abramović Institute

Lady Gaga, comme beaucoup d’artistes qui utilisent les réseaux sociaux à des fins de rapprochement des fans, a créé une vraie communauté (même si elle délègue quelquefois la tâche à un « community manager », comme c’est désormais souvent le cas, à cause du caractère chronophage des réseaux sociaux, toujours en demande d’extimité), les Little Monsters. L’envoi régulier de newsletters mettant en avant les créations de ses fans permet de voir à quel point les codes artistiques ont été intégrés de manière naturelle, à quel point les valeurs que Lady Gaga prône et défend sont comprises, transmises et mises en pratique : l’acceptation de soi et de la différence de l’autre. Ils suivent les moindres faits et gestes de l’artiste et sont donc amenés à se poser des questions, à exprimer une voix parmi d’autres, quand leur artiste préférée passe devant le Congrès pour défendre les droits des homosexuels dans l’armée américaine.


[1] « Gaga does it for the gays » in perezhilton.com [en ligne]. 2009. Disponible sur <http://perezhilton.com/2009-08-13-gaga-does-it-for-the-gays> (consulté le 28 juillet 2004). Traduction personnelle : Ils ne font rien d’autre que vivre et respirer leur art.

[2] Sur le site de Haus of Gaga [en ligne]. Disponible sur <http://www.haus-of-gaga.com> (consulté le 28 mai 2014)

[3] « MARINA ABRAMOVIĆ: “I’VE ALWAYS BEEN A SOLDIER” », Interview [en ligne], Disponible sur le site de The Talks <http://the-talks.com/interviews/marina-abramovic/> (consulté le 20 juillet 2014). Traduction personnelle : « Le public qui n’allait pas au musée, qui s’en foutait de l’art de la performance ou ne savait même pas ce que c’était, a commencé à venir grâce à Lady Gaga ».


3.1.2 Le body art & l’art du tatouage

Nous avons vu comment Marina Abramović se servait de son corps pour créer des performances, l’une des manifestations les plus développées de l’art corporel (body art).

[Le] body art historique, que ce soit l' »actionnisme » viennois ou le travail de Michel Journiac ou Gina Pane en France, il avait à son époque un sens extrêmement précis : essayer de faire sauter les tabous sur la sexualité, la nudité, à un moment où le corps était à la fois tube de couleur et lieu de la couleur.[1]

Et curieusement, à l’ère de l’extimité numérique où tous ces tabous ont sauté, l’art corporel continue de connaître un essor particulièrement important. Doit-on y voir une résistance de l’humain face aux nouvelles technologies ? Une résistance face à l’immatérialité de ce qui constitue nos vies et/ou notre réseau social aujourd’hui ?

L’individualisme contemporain développe une hypertrophie du « moi ». L’autoportrait et ses variantes reviennent donc au centre des préoccupations de l’art actuel. Désormais, le corps laisse son empreinte, il s’expose. […] Avec le body art […], le propre corps de l’artiste devient l’outil de son travail. Il le met en scène dans des performances ou il en fait le support d’intervention qui le transforme : scarifications, blessures, opérations chirurgicales.[2]

Après ORLAN, c’est l’artiste Mona Hatoum qui utilisera des machines médicales pour créer une œuvre : l’installation Corps étranger consiste en une vidéoprojection de la vidéo que l’artiste a réalisée à l’occasion d’une endoscopie. « La frontière de l’enveloppe du visible est ainsi franchie ; l’identité du corps se perd dans le commun des organes. Là, tout le monde peut ressembler à tout le monde alors que nous sommes au plus profond, au plus intime du corps vivant : illusion d’un intérieur qui serait l’espace de l’intime. [3]»

L’une des modifications les plus fréquentes de son apparence physique est l’art du tatouage. Si le body art est une écriture dans le corps, le tatouage est, quant à lui, une écriture sur le corps. Il est important de souligner que depuis une vingtaine d’années, il est sorti de son salon un peu glauque, pas toujours propre, pour devenir une activité représentée par un syndicat[4] et rigoureusement contrôlée. Ce regain d’intérêt a permis l’émergence d’ « artistes tatoueurs » au détriment des simples « tatoueurs ». Le tatouage est devenu tellement populaire qu’il est sorti des traditionnelles conventions de tatouage, réservées aux profanes, pour venir s’exposer au Musée du Quai Branly[5] et toucher la sensibilité des novices.

Bien qu’étant une pratique ancestrale, le tatouage reste longtemps connoté de façon négative :  

Le tatouage est une marque infamante, un outil de contrôle des corps. Il est la trace de l’esclavage dans la Rome antique, celle imposée aux esclaves fugitifs et aux prostituées par le Code noir de Colbert et, plus récemment, celle des Juifs exterminés dans les camps de concentration. Il pointe l’individu jugé inacceptable. […] C’est à partir du XIXème siècle que le tatouage commence à prendre une dimension plus artistique. Au Japon, en Europe ou en Amérique, les tatoueurs voyagent, échangent sur leurs modes opératoires, leurs techniques et leurs arts respectifs. Le tatouage devient multiculturel, protéiforme. […] Le tatouage est, jusque dans les années 1980, un art underground, associé à des milieux particuliers, notamment musicaux, tels le rock, le rap ou le punk. La starification du système, les idoles de la pop culture bariolées de tatouages, en les exposant, ont contribué à populariser ce qui n’était alors qu’un épiphénomène.[6]

Qui y a-t-il en effet de plus extime que de se faire tatouer ? Nous ne parlons évidemment pas ici des tatouages « décoratifs », le genre de tatouage que l’on se ferait après une soirée arrosée, comme une blague. Il est ici question de la rencontre entre deux sensibilités, celle de l’artiste et celle du support, en vue d’un projet commun. Les idées de l’un s’expriment dans le style de l’autre. Le corps devient une toile sur laquelle se raconte l’histoire du tatoué.

Alors que le print meurt, le tatouage étend paradoxalement son emprise sur le monde. Dans une aire dominée par le virtuel, ou les solidarités collectives s’effondrent, le corps est la dernière surface pérenne d’une jeunesse à qui l’ont promet un avenir incertain. L’extension du domaine du tatouage, loin d’affirmer une prétendue identité intime introuvable, est le marqueur qui fige le temps d’une époque fuyante et insaisissable. Le totem du théâtre de l’identité sociale, la seule réelle pour le philosophe Clément Rosset. C’est peut-être parce qu’il n’y a pas de mystère, juste des jeux, que le tatouage a tant changé, politique ou narcissique, jusqu’à sortir de sa propre sacralité pour s’assumer dadaïste ou décalé.[7]

Notre définition des hypomnémata comme supports artificiels de la mémoire s’applique ici on ne peut mieux à la peau, comme nouveau support de la mémoire et des souvenirs.


[1] ORLAN, op. cit.

[2] DE MAISON ROUGE Isabelle, op. cit., p. 93.

[3] PARFAIT Françoise, « De quelques intimités vidéographiques… », dans WATTEAU Diane (dir.), op. cit., p. 44.

[4] Le Syndicat National des Artistes Tatoueurs, dont le président est la figure de proue du tatouage français, Tin-Tin.

[5] « Tatoueurs, tatoués », au Musée du Quai Branly, du mardi 6 mai 2014 au dimanche 18 octobre 2015

[6] « Tatouage, l’art dans la peau » sur le site de France Culture [en ligne]. Disponible sur <http://www.franceculture.fr/2014-05-08-tatouage-l-art-dans-la-peau> (consulté le 7 juin 2014).

[7] LAFFETER Anne, « tattoo pour être heureux », dans Les Inrockuptibles, N° 960 du 23 au 29 avril 2014, p. 40.


3.1.1 Blogs, sites « perso » et réseaux sociaux

Le postulat selon lequel chaque « statut Facebook », chaque « tweet », chaque photo sur Instagram tiendrait, par essence, du journal extime rejoint les propos d’Éliane Chiron :

Les réseaux électroniques et numériques permettent, dans des pratiques artistiques actuelles, de se donner à voir, de s’ouvrir au monde, de se disperser pour mieux se retrouver. C’est le spectateur qui effectue cette reconstruction. Les frontières de l’intime se déplacent, le réseau devenant interface transitionnelle, espace d’échange qui participe à la construction de soi et à celle de notre vision du monde.[1]

Et notre vision du monde contemporain passe par Facebook. Il y a deux décennies, pour faire une déclaration officielle, l’artiste organisait une conférence de presse ou écrivait un message qui apparaissait sur la première page de son site ou était transmis aux agences de presse qui en assuraient la publication. Aujourd’hui, même les politiques utilisent Facebook pour faire leurs déclarations officielles parce qu’ils savent qu’ils toucheront plus de monde qu’en passant au Journal Télévisé. Il y a dix ans de cela, avant l’apparition des réseaux sociaux, le web n’était qu’une suite de pages personnelles, de blogs criards au contenu parfois douteux puisque avec l’avènement d’internet, c’est l’anonymat qui a été mis en avant. Et se dévoiler devenait tout de suite beaucoup plus simple puisque le rapprochement entre les propos tenus et son créateur était difficile, parfois impossible. Puis Facebook est arrivé. Et c’est là que l’extime a pris son envol, c’est là que les liens humains sont devenus virtuels. Avec les réseaux sociaux, il est question de la « fin des isolats, mise générale en réseau, où tout se traverse et se connecte […], où tout est transparent : plus de dedans ni de dehors, le dedans est mis au dehors et le dehors entre au-dedans. L’intime est librement et délibérément exhibé [2]». Mais un intime qui n’est pas totalement anonyme puisqu’avant de devenir aussi populaire, pour créer un compte Facebook, il fallait l’ouvrir en son nom propre, dont il fallait pouvoir vérifier la véracité administrative. Et même encore aujourd’hui, si les pseudos sont légion, un utilisateur ne peut avoir qu’un seul compte Facebook et sera tenu responsable des statuts publiés sur son mur. « En ce sens aussi, les réseaux sociaux sur Internet ne créent pas de liens symboliques donc juridiques mais des liens réels quoique virtuels (réels, car faits de signaux informatiques et non de symboles) sur un fond d’espace public indéterminé. [3]»

Il suffit d’aller voir le site de Jonas Mekas pour comprendre que la suite de sa démarche et de son œuvre passe désormais entièrement par ce médium. Et comme sur beaucoup de sites, il y a une partie dédiée au blog (souvent habilement renommée en Actualités tellement le terme blog semble rester péjoratif). Un « blog », c’est un « web log », un journal web. Le journal intime devenu blog fait basculer la production, quelle qu’elle soit, dans la sphère de l’extime puisque chaque contenu publié est instantanément visible par un tiers.

Nous sommes à l’ère où chacun est libre de créer ce qu’il veut. Les outils sont disponibles, en téléchargement gratuit, les « communautés » existent pour chaque outil de création et les outils de création numérique se sont développés en mettant l’accent sur la facilité d’utilisation et l’ergonomie pour qu’entre l’idée et l’œuvre, il n’y ait plus qu’un pas simple à franchir.

Les standards de programmation/code du web ont été de plus en plus simplifiés, pour répondre facilement à une réactivité toujours croissante, et là où il fallait un certain temps pour créer une page personnelle au début du XXIème siècle, c’est aujourd’hui faisable en quelques clics à peine. Ce qui a naturellement amené à une prolifération de blogs (des affreux Skyblogs, en passant par Tumblr, pour arriver au Système de Gestion de Contenus – Content Management System / CMS – grâce auquel réaliser un site n’est plus l’affaire d’une intelligentsia numérique) et donc à un dévoilement parfois exagéré, voire insouciant de l’extime, par tous les moyens, sur toutes les plateformes.

L’invention et l’explosion des blogs sur le net sont la pure manifestation de cette nouvelle topologie du monde : chacun se montre, l’intime est livré à tous les regards, mais cette exposition au monde suppose, à l’instant même où vous invitez tous les regards sur votre intimité, que vous recevez chez vous, dans votre intimité, dans votre chambre à coucher toutes les chambres à coucher[4], toutes les intimités de tous les sujets de la planète, soit tous les autres blogs. Le monde devient un gigantesque bal des intimes.[5]

Sadie Benning, artiste plasticienne, vidéaste et musicienne américaine dont la première œuvre était un journal intime mêlant textes et images qu’elle filmait avec une caméra Fisher Price Pixelvision, disait :

Je m’interroge sur toutes ces superstars qui s’ignorent, et restent seules dans leurs chambres à tenir leur journal, à jouer de la guitare, tout en ne se sentant pas des êtres humains à part entière, car telle est l’image d’elles-mêmes qui leur est renvoyée. Elles espèrent que surviendra une révolution susceptible de changer les choses. Elles ignorent qu’elles sont elles-mêmes cette révolution en marche, et que dans ce combat, la plus puissante de leurs armes n’est autre que leurs propres créations, qui les représentent elles-mêmes.[6] 

La « révolution » dont elle parle, c’est l’avènement des réseaux sociaux. Leur succès immédiat est lié à la nouvelle culture du partage, devenue innée chez les natifs numériques. On partage ses bons moments, ses coups de blues, les dernières photos du petit, on partage des citations, des articles de journaux, des œuvres d’artistes émergents, on partage la musique qu’on aime, les séries qu’on regarde… tout ça en un clic. On se filme et on publie sa vidéo sur YouTube ou autre plateforme vidéo. Le journal extime suit l’évolution des technologies… Hier, on se parlait au téléphone. Aujourd’hui, on se téléphone en vidéo, face à face. Et demain ? « D’une certaine façon, le rôle de l’artiste est d’articuler le public et le privé en faisant passer le spectateur d’un domaine à l’autre, par les images qu’il fabrique.  »

Cette extimité facilitée a cependant un effet pervers : chacun y va de sa propre pierre à l’édifice. YouTube est rempli de vidéos amateurs, extimes, tournées sans réelle connaissance des conséquences, qui se sont parfois avérées dramatiques pour leurs auteurs. Celui qui en fera « le plus » s’assurera ses quinze minutes de gloire, à peu près le temps qu’il faut pour que le buzz se fasse et se passe. Encore récemment, une jeune américaine se suicidait à cause des propos tenus dans les commentaires d’une vidéo qu’elle avait innocemment publiée sur YouTube. Puis on oubliera… et ce sera au tour de quelqu’un d’autre. Et c’est à l’artiste que revient le rôle de produire le lieu de vie où le Moi est à la fois le sien propre et celui des autres aussi.

L’extimité aujourd’hui, c’est le « selfie », une autophoto réalisée avec un appareil photo numérique et envoyée sur un réseau social. Rien de révolutionnaire et pourtant, tout le monde se prête au jeu. Les Tumblr et albums photos Facebook regorgent de ces photos célébrant un culte du moi souvent mal maîtrisé. Ce dévoilement à outrance tiendrait plus de « l’extimisation » que de l’extime : il n’est plus là question de dévoiler son intimité, mais plutôt de se créer une extimité numérique, pour jouer le jeu des réseaux sociaux.


[1] Ibid. p. 15

[2] WAJCMAN Gérard, op. cit. p. 113.

[3] JEULAND Emmanuel, op. cit. p. 27.

[4] La chambre à coucher étant également prétexte à dévoiler un peu plus son intimité par une « sex tape »

[5] WAJCMAN Gérard, op. cit. p. 113.

[6] COLLECTIF, La Sphère de l’intime, Saint Herblain, Coéditions Le Printemps de Cahors, 1998, p. 35.